La Cour d’appel de Borgarting en Norvège a rendu sa décision le 14 mars 2025 concernant le statut légal et le financement public des Témoins de Jéhovah. Elle a statué en leur faveur en jugeant invalides les décisions de l’État qui refusaient leur enregistrement officiel en tant que communauté religieuse ainsi que les subventions publiques.
Rappel des éléments à charge
Les Témoins de Jéhovah violent gravement les droits et les libertés d’autrui… Les Témoins de Jéhovah empêchent le droit au retrait libre et exposent les enfants baptisés à la violence psychologique et au contrôle social négatif… Personne dans les congrégations ne devrait avoir de contact avec d’anciens membres qui ont été exclus (excommuniés) ou qui se sont retirés. Les droits des enfants sont également violés par une autre pratique qui s’applique aux mineurs non baptisés qui ont le statut de proclamateur. S’ils commettent un péché grave, en tant que non-baptisés, ils ne peuvent pas être excommuniés, mais ils risquent l’exclusion et l’isolement social.
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L’administrateur de l’État a souligné que les Témoins de Jéhovah étaient clairs sur le fait que leurs membres ne devaient pas avoir de contact avec ceux qui ont été exclus ou qui se sont retirés de la communauté religieuse. L’administrateur de l’État a supposé que cette pratique pourrait amener les membres à se sentir obligés de rester dans la communauté religieuse. Cela a donc été considéré comme un obstacle au droit des membres à se retirer librement et comme une violation de la loi sur les communautés religieuses… L’exclusion des membres mineurs baptisés devait être considérée comme un contrôle social négatif et une violation des droits des enfants… Les enfants qui n’ont pas encore été baptisés peuvent se voir attribuer le statut de « proclamateur non baptisé » Les enfants ayant ce statut risquent d’être exclus de la congrégation s’ils commettent un péché grave. L’enfant n’est pas excommunié, mais il est demandé à la congrégation d’être prudente dans ses relations avec l’enfant… Cette pratique devait également être considérée comme un contrôle social négatif et que l’isolement social est une forme de punition contre l’enfant.
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Les arguments des Témoins de Jéhovah
Le retrait peut être effectué par écrit sans aucun obstacle… Toute perte de relations sociales résultant des règles de distanciation sociale ne constitue pas un obstacle pour le retrait… Les liens familiaux subsistent quoi qu’il arrive après une démission… Les personnes qui se retirent ne subissent aucun isolement social. Elles conservent également un contact normal avec les membres de leur famille qui ne sont pas des Témoins de Jéhovah baptisés, ainsi qu’avec leur entourage en dehors des Témoins de Jéhovah.
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La pratique de l’exclusion en tant que telle ou son existence ne constituent pas une violence psychologique… Il n’y a aucun changement dans les liens familiaux ou dans la vie familiale au sein du foyer en cas d’exclusion ou de retrait volontaire. Dans les très rares cas où un mineur est exclu, l’enfant continuera de toute façon à être pris en charge par ses parents, et ses besoins émotionnels et physiques seront toujours satisfaits… Il n’existe aucune base factuelle pour affirmer que les mineurs ressentent une pression pour rester Témoins de Jéhovah par peur de perdre des relations avec leur famille et leurs amis dans la communauté religieuse. Il n’existe aucun élément dans les publications des Témoins de Jéhovah indiquant qu’il s’agit d’une pratique religieuse selon laquelle les enfants grandissant dans des familles affiliées aux Témoins de Jéhovah doivent devenir eux-mêmes Témoins de Jéhovah. Le temps consacré à la pratique religieuse ne constitue pas un contrôle social négatif. De nombreux enfants grandissant au sein des Témoins de Jéhovah consacrent également du temps à d’autres activités que les activités religieuses. Les Témoins de Jéhovah ne pratiquent pas la distanciation sociale à l’égard des anciens proclamateurs non baptisés… L’administration n’a pas rempli son devoir d’enquête… L’administration se fonde sur des informations anecdotiques, des circonstances lointaines et sa propre interprétation de textes religieux pour lesquels l’État n’a aucune expertise juridique ou professionnelle. Les décisions concernant la perte des subventions et l’enregistrement sont en outre invalides car elles constituent une violation d’un certain nombre de dispositions relatives aux droits de l’homme…(s’en suit tout une argumentation contestant l’application des articles de la CEDH à l’encontre des Témoins de Jéhovah).
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Kåre Sæterhaug, a également déclaré dans son témoignage que son impression était que les principes bibliques de distanciation sociale des membres non baptisés qui sont exclus ou démissionnent sont suivis par les membres. Toutefois, Sæterhaug a également déclaré que les règles des Témoins de Jéhovah, y compris celles concernant la distanciation sociale, doivent être considérées comme des lignes directrices, et qu’il appartient à chaque membre de décider comment les mettre en pratique.
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Il ressort du livre des anciens de 2019 (chapitre 12, paragraphe 17) que « l’association inutile » avec des personnes retirées ou excommuniées peut être considérée comme un soi-disant « comportement éhonté »… Les Témoins de Jéhovah ont cependant fait valoir qu’il s’agit d’une décision personnelle pour chaque Témoin de Jéhovah, basée sur sa propre conscience, de savoir dans quelle mesure il applique strictement les règles visant à éviter ou à limiter les contacts avec les membres retirés ou excommuniés
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L’approche de la cour d’appel
La question de savoir si cette pratique (l’exclusion sociale) constitue une violation grave du droit au libre retrait, ou doit être considérée comme une « violence psychologique » ou un « contrôle social négatif dirigé contre les enfants », relève de l’application de la loi et non de l’appréciation des preuves. La Cour d’appel a donc principalement fondé son appréciation sur… ce qui peut être déduit des écrits des Témoins de Jéhovah, et n’a pas jugé nécessaire d’expliquer en détail les témoignages individuels.
(S’en suit tout une série d’articles cités des publications des Témoins de Jéhovah qui servent de base à l’analyse et à la décision)
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De l’avis de la Cour d’appel, la pratique de radiation des Témoins de Jéhovah est clairement conforme à l’exigence de la deuxième phrase de l’article 2, deuxième paragraphe, de la loi sur les communautés religieuses. La seule exigence selon le libellé de la loi est que le retrait doit être possible « par écrit ».
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À la connaissance de la Cour d’appel, il n’existe pas de jurisprudence de la CEDH qui concerne directement la portée du droit au libre retrait – c’est-à-dire la situation dans laquelle une personne est directement ou indirectement empêchée de se retirer d’une communauté religieuse… La Cour d’appel estime néanmoins que ces conséquences ne constituent pas une pression indue suffisante pour constituer une violation du droit du membre à démissionner librement en vertu de l’article 9(1) de la CEDH.
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En outre, la pratique, telle qu’examinée au point 3.3, n’implique pas que les liens familiaux soient rompus. En ce qui concerne les membres d’une même famille vivant au sein d’un même foyer, un contact quotidien est maintenu. De plus, vous pourrez avoir des contacts « nécessaires » avec d’autres membres de la famille. Ceux qui ont été excommuniés pourront également avoir des contacts normaux avec les membres de leur famille qui ne sont pas baptisés Témoins de Jéhovah (y compris les frères et sœurs qui ont choisi de ne pas être baptisés) et d’autres réseaux extérieurs aux Témoins de Jéhovah. Il n’est donc pas question d’une quelconque « exclusion sociale complète et/ ou de conséquences financières graves » en cas de retrait.
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Bien que le processus (les comités de discipline religieuse) puisse être très désagréable, et dans certains cas humiliant, la Cour d’appel estime néanmoins – avec un certain doute – que le processus en tant que tel ne peut pas être considéré comme une violence psychologique…. L’enfant est également accompagné de ses parents lors de la conversation avec les anciens, qui seront généralement en mesure de rendre la conversation un peu moins stressante dans une certaine mesure… la Cour d’appel met l’accent sur le fait que l’enfant – par le baptême et par les rencontres dans la congrégation – est conscient que les conséquences de la violation des normes sont que l’on peut être amené à passer par un tel processus, de sorte que ni le processus d’exclusion ni les conséquences d’une exclusion ne sont quelque chose pour lequel on est complètement impréparé.
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La Cour d’appel estime toujours – toujours avec un certain doute – que la distanciation sociale que peut subir un enfant mineur par le biais de l’exclusion ne peut être considérée comme une violence psychologique… Un autre argument qui milite contre le fait de considérer la relation comme une violence psychologique est que l’enfant – par le baptême et par les réunions dans la congrégation où ce sera le sujet – s’est familiarisé avec les conséquences de la violation des normes.
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Le fait qu’il n’existe aucune disposition générale en Norvège interdisant le contrôle social négatif, que ce soit dans la Convention relative aux droits de l’enfant ou dans la législation norvégienne en général, crée un défi pour déterminer si et dans quelle mesure le contrôle social négatif dirigé contre les enfants peut être considéré comme une violation des « droits » des enfants.
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La Cour d’appel a ensuite conclu qu’il n’avait pas été prouvé que les pratiques des Témoins de Jéhovah impliquent un contrôle social négatif suffisamment étendu dirigé contre les enfants pour que ces pratiques puissent être considérées comme « violant les droits des enfants ». Dans cette évaluation, la Cour d’appel a mis l’accent en particulier sur la liberté religieuse de l’enfant et des parents, et sur le fait que l’État n’a pas démontré que les mineurs baptisés en conséquence de la pratique de la distanciation sociale subir une forte pression pour ne pas commettre de violations des normes ou pour ne pas se retirer, d’une manière qui constitue un contrôle social négatif dirigé contre les enfants.
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La conclusion de la cour d’appel
La Cour d’appel a conclu que l’État n’a pas démontré que la pratique des Témoins de Jéhovah en matière de distanciation sociale envers les Témoins de Jéhovah mineurs baptisés ou les prédicateurs non baptisés est en conflit avec le droit des membres de se retirer librement de la communauté religieuse ou viole les droits des enfants. Les conditions de refus d’octroi de subventions en vertu de l’article 6 de la loi sur les communautés religieuses, et donc de refus d’enregistrement en vertu de l’article 4, troisième alinéa, ne sont pas remplies. Les décisions sont donc invalides.
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Conclusion
La Cour d’appel de Borgarting a donc annulé la décision de l’État norvégien refusant l’enregistrement et les subventions des Témoins de Jéhovah, estimant que les critères légaux pour une telle sanction n’étaient pas remplis. Cette décision met malgré tout une fois de plus en évidence les pratiques controversées des Témoins de Jéhovah et leur habileté à esquiver les critiques en recourant à une stratégie fallacieuse, soigneusement calculée sur le plan légal, afin d’atténuer la portée réelle de leurs actions et de minimiser leur responsabilité. Elle illustre également les limites de l’application des lois face à des pratiques religieuses aux conséquences sociales profondes. On peut aussi critiquer une application très administrative par la cour d’appel, concernant l’article 9 de la CEDH, qui considère qu’envoyer une lettre par écrit est suffisant pour respecter les droits de l’homme et on peut se demander l’utilité d’une telle définition, si elle a bien été comprise. On observe également que, bien que la cour d’appel exprime ses doutes, elle peine à affirmer que l’ostracisme obligatoire constitue une forme de violence psychologique ou que le contrôle social exercé par les Témoins de Jéhovah ait un impact négatif et représente une violation des droits de l’enfant. Celle-ci a besoin de se reposer sur des études solides, menées par des professionnels, afin de pouvoir condamner cette dérive, au-delà des constats via les témoignages.
L’État peut encore faire appel devant la Cour suprême de Norvège, mais pour l’instant, cette décision constitue une victoire juridique pour les Témoins de Jéhovah.
Sources
- Décision de justice en norvégien et traduction automatique en français.